mercredi 1 décembre 2010

Fwd: TR: article dauphin passionnant


Objet : Fw: article dauphin passionnant
 
Petit transfert du soir à quelques amis  "branchés "...
 
pour bien dormir la nuit en rêvant aux Dauphins.
 
Bises.
 
Philippe.
 
 

Une nouvelle alliance entre l'homme et l'animal

Par Bobby Lœwenstein
 
(JPG)
DR.

Par les temps à la fois magnifiques et épouvantables, bourrés d'espoir et pleins de danger que nous traversons en ce début de millénaire, il est un enseignement de base auquel il vaut toujours la peine de retourner : celui de la nature. L'homme moderne sent bien, dans ce qui lui reste d'instinct, qu'il s'est trop éloigné de la Terre et qu'il lui faut d'urgence renouer contact avec cette matrice primordiale. C'est une question de vie ou de mort. Il arrive que cette " Mère Nature " nous semble singulièrement froide, mystérieuse et muette - sous le visage de cataclysmes de toutes sortes, que le petit moi, logique et mental, du citoyen urbain moderne a aujourd'hui plus de mal que jamais à comprendre... Heureusement, parfois, au contraire, la grande Mama nous parle avec infiniment de chaleur et d'amour - davantage même que nous ne saurions en rêver. Ainsi en va-t-il quand elle prend le visage de ces animaux parfaits que sont les cétacés.

" Trop beau pour être vrai ! " serait-on tenté de penser. À l'heure où la civilisation industrielle achève de saccager les derniers restes planétaires de nature pré-humaine, avoir la possibilité de contempler, ou mieux, de nager, mine de rien, avec ce que cette nature avait créé de plus enchanteur, de plus abouti, de plus beau, après des milliards d'années d'incessante créativité, est une aubaine, un luxe, une chance à peine croyables ! Une fois cette prise de conscience, sinon effectuée, du moins entamée (et alors seulement), il devient possible d'entendre ce que Mère Nature peut avoir à nous dire et à nous enseigner, par l'intermédiaire de ses messagers les plus extrêmes.

Cet enseignement s'adresse à nous de multiples manières :

appel à la simplicité,

appel à l'émerveillement,

appel au jeu,

appel à la gratuité

appel à la grâce dans le moindre geste,

appel à la danse,

appel à l'écoute permanente de l'autre,

appel à la solidarité fulgurante...

Sur tous ces plans, les cétacés s'avèrent, pour qui sait les entendre, d'incomparables enseignants. Moyennant quoi, ils sont en droit d'attendre de nous, élèves-humains :

-  au minimum, une humble tentative d'imitation,

-  au maximum, quelques-unes de ces prouesses auxquelles nous seuls avons accès : création artistique, vision scientifique, expérience mystique... en réponse résonnante et harmonieuse aux appels en question. On peut, bien-sûr, imaginer sans difficulté la critique que les humains delphiniens risquent de rencontrer sur leur route : « Vous délirez ! », « Cet engouement pour l'animal vous fait oublier l'homme ! », « Les nazis aussi aimaient les animaux ! », « Tout ceci ressemble à un désir de régression thalassale », etc.

Les amis de Nouvelles Clés sont a priori des voyageurs avides d'aventures et de contacts concrets. Soyons donc concrets, nous aussi.

La delphinophilie peut se comprendre à plusieurs niveaux : physique (on pourrait dire biosphérique) et symbolique. Entrons par la porte biosphérique. Depuis la nuit des temps, l'homme a passé alliance avec toutes sortes d'animaux (généralement des mammifères). Sur ces alliances se sont édifiées des civilisations - pensons au chien, au cheval, au chameau, au buffle, au mouton... Nous voilà à l'aube du troisième millénaire, à l'ère des élevages industriels de vaches, de porcs, de poulets... L'humanité hésite entre la fierté de disposer de moyens technologiques époustouflants et la crainte de voir, à cause de ces derniers, de grands dérèglements écologiques et mentaux emporter toute la biosphère dans un chaos vertigineux. À cette même époque, un animal très particulier frappe à notre porte. Le dauphin. Qui propose implicitement une nouvelle alliance, susceptible de fonder une civilisation d'un nouveau type, pour nous aider à nous arracher au vertige... Non pas une domestication de plus. Non, une alliance d'un genre essentiellement nouveau, à la mesure des défis que nous devons aujourd'hui relever. Au cas où vous en douteriez, posez la question autour de vous, surtout chez les plus jeunes : le dauphin est devenu l'animal-totem de ce début de millénaire. A l'heure où l'intelligence artificielle des réseaux planétaires paraît défier la création tout entière, voilà un être résolument naturel et non technologique (nu comme un ver il ne dispose même pas de main), dont l'intelligence s'est toute entière tournée vers le jeu et la relation aux autres. Sa curiosité, son sens de la solidarité, son humour frappent de stupeur tous ceux qui l'approchent...

La symbolique du dauphin est puissante. Ses irruptions dans la culture humaine suivent un cycle long. On la trouve par exemple en Grèce, cinq cents ans avant notre ère, quand le poète Aryon, jeté à la mer par des pirates, est sauvé par une troupe de dauphins, charmés par sa lyre. Puis elle disparaît, pour resurgir au Moyen-âge, dans le bestiaire du Christ et dans la descendance première des rois de France, chrétiennement baptisés depuis Clovis . Elle disparaît ensuite à nouveau...

Son dernier retour ne date que du milieu du XX° siècle, quand nos contemporains s'émerveillèrent à nouveau du fait qu'au fil de l'évolution, un mammifère terrestre ait pu, il y a plus de cinquante millions d'années, retourner à l'océan originel et y engendrer plusieurs centaines d'espèces fantastiques - du petit marsouin à la gigantesque baleine bleue -, sans perdre ses acquis de départ, bien au contraire. Que les cétacés aient un néocortex à peu près aussi sophistiqué que le nôtre et soient d'une intelligence supérieure aux grands singes, voilà qui intrigue les humains post-modernes, à une époque où les bains de mer sont devenus une pratique commune et les questions écologiques une inquiétude générale. Cela nous intrigue d'autant plus que les cétacés n'ont pas de mains et ne fabriquent rien ; or, nous avons tendance à expliquer notre propre développement cortical exceptionnel par l'effet d'une spirale main-bouche-cerveau : en devenant bipèdes, nos ancêtres ont libéré leurs mains, qui ont pu fabriquer des choses, que leurs bouches et cordes vocales ont su décrire, poussant ainsi leurs néocortex à fonctionner plus fort, ce qui a permis à leurs mains d'inventer des objets plus sophistiqués, etc. Les cétacés n'entrent pas dans cette boucle-là. Pas de main, pas d'objets, par de gamberges objectives. Comment se fait-il alors qu'ils aient d'aussi gros cerveaux ? Ça leur sert à quoi ? Ne répondez pas que ça ne leur sert à rien. La nature est certes une artiste totalement surréaliste et allumée, mais les organes ne poussent pas pour rien. Parmi les quelques rares réponses à cette énigmatique question figurent celles d'un certain nombre de poètes de la mer (autrement dit, des gens qui utilisent les mots de façon précise) pour imaginer que les gros cerveaux des cétacés leur servent à communiquer entre eux et à prendre du plaisir. À communiquer de façon incroyablement riche. À jouir de façon inimaginablement raffinée. Anthropomorphisme ? Certainement. Toujours est-il que, poussés par une intuition ou un flair plus ou moins conscients, des humains de l'époque post-moderne, des contemporains, donc, sont tombés sur cette piste et l'ont suivie avec fièvre, follement désireux de pouvoir participer à cette communication et à cette jouissance...

Qu'on ne s'y trompe pas, il s'agit de bien plus que d'un mouvement de mode. Coincée au fond de ses impasses industrielles, l'humanité se trouve aujourd'hui contrainte à repenser tous ses rapports à la biosphère terrestre. Curieusement (du moins pour ceux qui n'ont jamais pratiqué ce genre de "sport") le contact avec les princes des mers s'avère particulièrement utile pour nous remettre en résonnance avec notre mère nature.

Je dis "princes", je pourrais dire "rois", ou "parrains" ou encore "régent". Je vois les dauphins comme des aînés et des guides dans notre accomplissement biosphérique. Il y a plusieurs dizaines de millions d'années, ces ex-mammifères terrestres sont devenus aptes à régner sur les mers. Ils "connaissent" bien mieux la planète que nous ! Comme disait le grand anthropologue Gregory Bateson, la manière dont les humains enseignent des tours de cirque aux dauphins est indigne et ridicule. En réalité, ce sont les dauphins qui devraient nous enseigner ! Et la seule manière de le faire est de les rejoindre sur leur terrain : plonger dans l'eau avec eux.

Le champion de natation Matt Biondi (huit médailles d'or olympiques) l'a compris - sous nos yeux ! - sitôt qu'il s'est mis à l'eau en compagnie de dauphins tâchetés (ça se passait au Belize) : brusquement, lui, l'imbattable, s'est retrouvé tel un pauvre débutant, que les dauphins pouvaient écraser en un tour de nageoire. Et pourtant, ces derniers n'en firent rien. Ils ne pensaient qu'à jouer avec lui, faisant preuve d'une incroyable maîtrise du souffle et du geste. Depuis ce jour, Matt Biondi est devenu un activiste des contacts humains-dauphins. Il est persuadé qu'il sortira de cette connexion une révolution écologique, mieux : une métamorphose.

Il est vrai que, dès que l'on parle de métamorphose, s'impose un grand mystère sur lequel toute la grande science évolutionniste darwinienne a finalement échoué. Nul ne sait, au fond, comment il a pu se faire qu'un poisson devienne un jour un batracien, ni par quel processus un reptile a pu devenir un oiseau, ni comment le peuple des singes a enfanté l'humain. La science, raisonnablement fondée sur le répétable, ne pourra jamais saisir le processus de création, dont jaillit, par définition, l'unique. Quand on contemple le grand fleuve, à la fois continu et discontinu, de la vie sur terre, on est obligé d'admettre qu'à chaque passage, à chaque métamorphose, chaque fois qu'une nouvelle forme est apparue, tout s'est passé comme si une poussée venue d'ailleurs était intervenue. Venue d'où ? Qui peut le dire ? D'en dehors, dirait-on, de l'espace et du temps, d'un domaine où le passé, le présent et l'avenir se télescopent, et qui ressemble à l'imaginaire (certains savants des univers intérieurs préfèreraient le terme imaginal). Un royaume où l'on peut entrer par les symboles. Le dauphin, la baleine peuvent également être compris ainsi : comme de puissants symboles. Symboles de quoi ? Qu'on me permette ici de laisser la parole au romancier fou d'Égypte qu'est Christian Jacq...

« Le dauphin est un guide ; c'est le guide des âmes. Tous les anciens Égyptiens l'ont dit, particulièrement des naufragés : lorsqu'ils étaient complètement perdus, un dauphin leur montrait le chemin du rivage. » Cela s'entendait au propre comme au figuré : « Au moment où l'on est au fond du gouffre, disait-on, si l'on est sincère, le dauphin apparaît. » Christian Jacq s'interroge : « Notre société est à la recherche de guides. Les guides ne sont plus ni dans l'Église, ni dans l'État, ni à l'Université, ni dans les syndicats... où sont les guides ? Sûrement pas chez les gourous sectaires ! »

Au moment où l'on est au fond du gouffre, le dauphin apparaît. Faut-il que nous ayons plongé profond, alors, pour qu'il apparaisse aussi souvent et à tant de gens, par les temps qui courent. Fulgurants messagers du chemin vers la surface.

Entre frénésie et pédagogie

Vers les années 1990, pas franchement plus lucide que la moyenne, j'ai accompagné plusieurs groupes d'humains « civilisés » à la rencontre de groupes de dauphins « sauvages » de type Tursiops (le plus médiatique, les frères de Flipper), ou, plus fin et certainement plus raffiné, ou Stenella Frontalis (dauphins tâchetés), notamment au sud de la « Floride alabamienne » (l'Alabama s'est fait rouler, cette côte devrait lui revenir) et au large des Bahamas. J'avoue que, lorsqu'en pleine mer, sur un « spot » repéré d'avance, un groupe de dauphins accepte de jouer, non plus seulement avec l'étrave de votre bateau, mais avec tout un groupe de bipèdes plus ou moins nageurs, qui se jettent à l'eau en poussant des cris stridents, l'effet est saisissant. La force de ces êtres permettrait à n'importe lequel d'entre eux de ratatiner n'importe quel humain en une fraction de seconde ! Au lieu de quoi, ils entrent en interaction, dans des danses aquatiques si belles que, parfois, tâchant de les suivre dans leurs cabrioles sous l'eau, vous en oubliez de respirer ! L'incroyable contact velouté de leur peau (quand vous avez de la chance qu'ils vous touchent - vous-même, ne le faites jamais), la façon dont ils vous sondent avec leur « sonar » (ça, à tous les coups), ce sixième sens à écholocation qu'ils se sont inventé pour survivre, utrason imperceptible légèrement électrique, la sensualité et la drôlerie de leurs comportements, tout cela fait de la rencontre avec eux un moment inoubliable. Puis ils disparaissent, après une étourdissante mêlée d'un quart d'heure, ou d'une demi-heure, et vous remontez sur votre bateau, en proie à une euphorie incontrôlable. Certains en demeurent marqués à vie. Dans l'instant, tous ceux qui ont participé à l'événement, strictement tous (même le non-nageur qui a osé se jeter à l'eau avec une bouée sous les bras) ont des révélations exceptionnelles à vous faire : sur les dauphins, sur les baleines, sur la mer, sur la vie, sur le cosmos, sur eux-mêmes, sur la condition humaine et sur la société qui règne actuellement sur cette planète. Mais aussi sur l'âme, sur le souffle, sur l'esprit, sur l'inspiration poétique, sur les anges.... Bref, le contact avec le dauphin vous fait lâcher prise et vous ouvre à la créativité la plus large. Ce serait un excellent animateur de brain storming ! Vous voulez réveiller votre inspiration créatrice et votre enthousiasme originel ? Nagez donc avec un dauphin libre ! (nous nous refusons à entrer en contact avec de pauvres dauphins prisonniers, même si leurs geôliers ont d'implacables alibis pour justifier que l'on enferme des princes des mers dans des bassins ridicules, notamment celui qui consiste à dire qu'en emprisonnant une poignée de dauphins otages, les marinelands vous expliqueront qu'ils font en sorte que le public laisse les dauphins sauvages tranquilles).

La pédagogie de ces rencontres inter-espèces est simple : voilà des êtres intelligents et sensibles, qui vivent sur cette planète depuis trente à cinquante millions d'années, sans en avoir rompu les grands équilibres, et ceci alors même que certains de leurs représentants, en particulier les orques, sont les plus grands prédateurs, craints même des grands requins blancs et constituant le bout de la chaîne alimentaire océanique, comme nous avons longtemps constitué le bout de la chaîne continentale (aujourd'hui, notre gasteropolis est mondiale). Mais comparés à eux, nous, qui vivons sur cette même planète depuis à peine deux millions d'années (et encore, la maîtrise du feu ne date-t-elle que de cinq cent mille ans), nous faisons figure d'antibiotique léthal, de poison monstrueux, de prédateur dément, puisque, dans ce très court laps de temps, nous avons réussi à mettre toute la biosphère en danger. La grande différence entre les cétacés et nous, disions-nous, est qu'ils n'ont pas de mains et ne fabriquent donc rien, alors que notre génie manuel nous a fait métamorphoser notre environnement tout entier... Ne dit-on pas, depuis Darwin (qui de ce point de vue demeure très pertinent), que les espèces disparaissent par leurs points forts ? Aujourd'hui, nous savons que la métamorphose de l'environnement par l'homme est allée trop loin et que, comme le préconisent les sages, de Lao Zi à Pierre Rabhi, nous ferions bien de nous rappeler que nous avons aussi la capacité de communiquer et de jouir, de donner et de contempler, de rire et d'aimer, autant de verbes qui peuvent se conjuguer même si l'on n'a pas de mains et qu'on ne fabrique rien

 

Nouvelles Clés - Marc de Smedt - Patrice Van Eersel - Que pensent les 2 rats de la mutation de clés ?


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-  Patrice van Eersel
Journaliste et écrivain sa curiosité inlassable le pousse, dans tous les domaines, aux frontières du connu. Dernier ouvrage paru : Mettre au monde - Enquête sur les mystères de la naissance, éd. Albin Michel
-  Marc de Smedt
Éditeur et écrivain, son bonheur est d'avoir su concilier ses activités créatrices avec une vie à la campagne. Dernière ouvrage paru : Exercices d'éveil pour petits chatons, éd. du Relié.

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Marc de Smedt - Patrice Van Eersel

Que pensent les 2 rats de la mutation de clés ?


Gordes, le 30/11/2010

Mon cher cousin des villes,

Notre numéro 68 qui vient de paraître et d'être présenté par une grande partie de la presse et des journaux télévisés, marque une consécration pour notre magazine qui est né, comme tu le sais bien, de façon tout ce qu'il y a de plus artisanale, il y a 22 ans, dans une bergerie provençale. Certains ont été déçus de cette transformation, regrettant l'ancienne formule trimestrielle. Mais, pour de multiples raisons, y compris de survie, il nous fallait évoluer. C'est chose faite et la vidéo tournée avec Perla et Jean-Louis Servan-Schreiber pour notre site explique bien ce processus. D'après les échos que nous en avons, nous gagnons dans cette nouvelle aventure un public plus vaste et plus jeune : pour moi c'est essentiel. Car si nos idées peuvent être diffusées davantage auprès des générations montantes, le pari aura été gagné : quel plus beau voyage partagé avec un plus grand nombre que celui de la quête du sens ?

Et puis, il faut que je te raconte quelque chose : lorsque j'ai eu l'idée de créer ce canard, un matin de 1988, très précisément au saut du lit, j'en avais marre de voir que nos idées n'étaient relayées par aucun média. Depuis, et heureusement, les choses ont bien changé et nous avons participé à cette évolution. Mais en ce jour fondateur, il y a 22 ans, je me souviens avoir déjà eu en moi une forte ambition pour le journal que nous allions créer. Je me disais : « Il faut qu'il devienne l'égal des plus grands ! » J'espère que nous sommes, en toute humilité en ce qui me concerne, sur ce chemin-là. Donc longue vie à Clés, dont ce n'est certainement pas la dernière incarnation. Une seule chose compte : que nos réflexions continuent à éclairer et à faire du bien.

Qu'en penses-tu mon cher cousin ?

Mon cher cousin des champs,

Ah, cette mutation ! On en cause beaucoup, entre amis. C'est vrai que, de la « revue trimestrielle Nouvelles Clés » au « magazine bimestriel Clés », nous sommes passés d'un extrême à l'autre. A Nouvelles Clés, pendant 22 ans (18 pour ma part), nous avons ramé comme des malades pour trouver quelques petites publicités, généralement payées avec de gros rabais, si bien que... Nouvelles Clés n'a jamais pu être une entreprise viable - même si, depuis cinq ans, avec une croissance de 8,5 % par an en moyenne, nous ne perdions plus d'argent et en gagnions même un peu, de quoi payer quelques frais, mais certainement pas le dixième de nos coûts. Pour nous en sortir, mon cher cousin, tu avais eu l'habileté de savoir monter une vraie petite usine à gaz - à laquelle tu m'avais cordialement invité à participer -, avec la collection Clés en coédition chez Albin et le Club Nouvelles Clés, en partenariat avec le Grand Livre du Mois, sans compter le site (là, c'est plutôt moi qui, à la fin des années 90, avais énormément insisté pour que nous mettions le journal en ligne, quand tu craignais, non sans quelques raisons, que nous nous y enlisions).

Finalement, nous nous en sortions plus ou moins, en nous payant très mal, en travaillant beaucoup, souvent à des tâches pour lesquelles nous n'étions que très peu compétents, et bien sûr en payant très mal nos pigistes, qu'il nous était absolument impossible d'envoyer en reportage, etc.

La pertinence de nos propos et de notre démarche était évidente pour nos actionnaires, qui étaient d'accord pour mettre de l'argent dans l'entreprise, pour financer une « nouvelle formule ». Mais tous, de façon logique, demandaient qui dirigerait celle-ci. Ni toi, ni moi ne sommes des patrons de presse - tu es un éditeur, je suis un journaliste. Cela faisait donc dix ans - onze exactement, puisque notre premier projet de « nouvelle formule » date de 1999 - que nous cherchions une solution, en nous associant à des pros de la presse. Cinq ou six projets sont tombés à l'eau pendant cette décennie. Et finalement, c'est avec Jean-Louis et Perla Servan-Schreiber (qui nous soutenaient depuis vingt ans) que l'accord s'est fait - après qu'ils aient vendu le groupe Psychologies à Lagardère.

Alors bien sûr, d'un seul coup, nous passons à un autre stade... Je vois ça comme un saut quantique. Je veux dire qu'il ne s'est visiblement pas trouvé de solution intermédiaire - du moins pour nous, tels que nous sommes... - entre l'ancien Nouvelles Clés un peu artisanal, plus ou moins bien fagoté, mais en relation d'empathie fusionnelle avec son noyau de lecteurs, et le nouveau Clés, beaucoup plus pro, plus beau, capable de porter nos idées à un niveau supérieur, aussi bien dans la qualité journalistique que dans la quantité d'exemplaires vendus. Et donc, oui, brusquement, nous sommes devenus séduisants pour toutes sortes d'annonceurs, dont les publicités choquent un certain nombre de nos anciens lecteurs.

Cela dit, j'aime donner à mes amis quelques précisions... Depuis que nous cherchions une solution pour grandir, pour atteindre d'autres couches de la population et pour disposer de plus de moyens afin de travailler de façon plus professionnelle, on nous avait toujours dit : « Si vous voulez franchir le pas, sachez que vous serez obligés de faire un féminin et qu'il vous faudra vendre plus de 100 000 exemplaires » (soit trois à quatre fois plus que ce que nous vendions), autrement dit passer carrément à autre chose, autre contenu, autre public, etc. Jean-Louis et Perla Servan-Schreiber ont été les premiers à ne pas nous tenir ce discours. Pour eux, « il y a une vie en dessous de 100 000 ». Et, même si les femmes seront toujours majoritaires, pas question de refaire un nouveau féminin à la façon de Psychologies (qui a dépassé les 350 000 exemplaires), car les thèmes et sujets que nous traitions dans Nouvelles Clés ont toujours vraiment passionnés nos nouveaux dirigeants. Seulement, ils veulent mettre ces thèmes et sujets en forme dans un média qui parlera à plus de gens, aussi à des plus jeunes (et je dois dire qu'apparemment, ça marche !) et de mener cette nouvelle entreprise en dehors des gentils petits ghettos purs et durs, où nous avions fini par nous complaire...

Je dois dire aussi que, personnellement, ce que nous vivons là me rappelle furieusement un épisode déjà vécu, il y a exactement 31 ans, quand nous sommes passés du premier Actuel (petit mensuel psychédélique de la contre-culture des années 70, consacré aux communautés, à la route, à la libération sexuelle, au rock alternatif, à la marijuana, à l'écologie et à la littérature beatnick), au second Actuel (grand magazine des années 80, qui allaient être - nous en étions convaincus - entreprenantes, technologiques, métissées, ouvertes à la « sono mondiale » et fondamentalement joyeuses). À cette époque, déjà, nous avions vu brusquement débarquer la publicité et des maquettes pro. Et plusieurs d'entre nous - dont j'étais - avions été gravement choqués. En ce temps-là, il s'agissait d'une pub masculine (tabac, alcool et belles voitures), tout un secteur qui a, depuis, été cassé par la loi Evin. Aujourd'hui, le gisement de pub est essentiellement féminin (cosmétique, parfums et soins). C'est comme ça - le luxe est l'un des rares secteurs qui tiennent bien en temps de crise, et même en temps de guerre ! Pourquoi ? ce serait un intéressant sujet d'article... Et je me souviens qu'en 1979, lors de cette mutation, beaucoup d'amis gauchos, routards et babas nous avaient quittés - car évidemment, la pub déjà à l'époque était payée par de grandes entreprises, qui appartiennent à des groupes, possédés par des multinationales, qui sont en fin de compte toutes propriétés du... diable - c'est bien connu ! Question éternelle. Le rapport à l'argent n'est jamais simple, ni dans un sens, ni dans l'autre - je me souviens d'un vieux sage, qui me disait : « Mon ami, sois riche, ou sois pauvre, mais fais en sorte de rester libre par rapport à l'argent. » Beau programme : tu y arrives, toi, cher cousin ?

Mais, pour en finir avec le second Actuel - une grande réussite économique, surtout au début -, ce fut un grand canard, qui a laissé une trace positive (nous préparons d'ailleurs un best, qui sortira chez La Martinière fin mars 2011). Vu depuis mon petit bout de la lorgnette, sans ce second Actuel je n'aurais jamais pu faire les reportages qui m'ont permis d'écrire La Source noire, Le Cinquième rêve ou Mettre au monde...

Bref, tu m'as compris, j'espère fortement qu'il en ira de même - dans un tout autre genre bien sûr - avec le nouveau Clés et que celui-ci permettra la floraison d'une nouvelle génération de journalistes, intéressés par l'évolution du monde, de l'humanité et de la conscience, individuelle et collective.

Quant aux lecteurs déçus, j'espère qu'en fin de compte, ils nous reviendront. Bien sûr, si nous avions disposé d'une baguette magique, nous aurions mené de front les deux entreprises : la revue trimestrielle Nouvelles Clés, avec son côté labo spirituel artisanal de pointe, et le magazine bimestriel Clés, ouvert à un public plus large (et plus jeune : ça, je l'ai vérifié à maintes reprises depuis le mois de septembre). Mais c'était là un rêve irréalisable. Un rêve de toute-puissance infantile...

Puisse en tout cas le principe de réalité ne pas nous rester en travers de la gorge. Et vive la nouvelle aventure !

Embrasse tes rates pour moi.


© Patrice van Eersel / Marc de Smedt







Bien cordialement,

Michel SALOFF-COSTE
TEL : +33 6 78 72 30 29

skype : michelsaloffcoste
facebook : Michel Saloff Coste